Entretiens avec le poème cinématographique et ses pronoms personnels menés par trois villes Paris, Berlin, Barcelone, un village des collines du Pô, Piancerreto, un camp de concentration, Mauthausen et un non-lieu, Monaco

1996

Scénario d’Armand Gatti
Film de Stéphane Gatti

Entretiens avec le poème cinématographique et ses pronoms personnels menés par trois villes Paris, Berlin, Barcelone, un village des collines du Pô, Piancerreto, un camp de concentration, Mauthausen et un non-lieu, Monaco
Adaptation
Réalisation : Stéphane Gatti ; Scénario : Armand Gatti ; Récitants : Armand Gatti, André Wilms ; Image : Stéphane Gatti, Laurent Didier, Gérard Raynal, Jean-Pierre Dardenne ; Montage : Stéphane Gatti ; Mixage : Frédéric Ullmann ; Musique : Michel Risse ; Avec la participation de : José Martinez (El Maño), Jean Magne, Oscar Gonschorr, Peter Kunse.
Date : 1996
Production : France, Paris : Médias & Médias – France, Montreuil : La Parole errante ; avec le soutien du Ministère des affaires étrangères.
© : France, Montreuil : La Parole errante.
Description matérielle : vidéo : coul. ; 65 min

À la fois récit autobiographique, texte humaniste et réflexion sur le langage, ce film est une plongée dans l’univers d’Armand Gatti, dont il est d’ailleurs le scénariste. Le commentaire dit par André Wilms et par Gatti lui-même est découpé en chapitres par des
intertitres. C’est une réflexion poétique sur la signification des pronoms personnels, qui confronte les époques et les lieux, pour tenter de comprendre l’Histoire et en tirer les leçons. Il faut parfois briser le cadre pour mieux le reconstruire. Ici, l’image est découpée en plusieurs parties, détruisant ainsi l’unité de temps et de lieu. Les deux narrateurs sont
filmés en train de dire leurs textes, et les archives du passé se confrontent aux images du présent de narration, s’y superposent ou s’y accolent. “Je, à travers les autres pronoms, fouille le passé pour envisager le présent et construire l’avenir.” Gatti revient sur ses trajets personnels et tente de comprendre comment les lieux accueillent l’Histoire. Là où les trajets s’accumulent, les pronoms deviennent anonymes. Gatti cherche à annuler les différences et les préjugés de la langue et tend vers l’universel. Par l’unité de la grammaire, il veut abolir les inégalités et les conflits entre les peuples. Les condamnés fusillés, qui parlaient 23 langues différentes, n’ont pas su dans quelle langue mourir. Devant la mort se révèle l’unité plurielle de l’humanité et par le langage, tout devient possible.

Résumé CNC : Tristan Gomez

 

Cent ans / Armand Gatti

2024

Cent ans déjà que Armand Gatti est né. C’est passé vite. À l’occasion de cet anniversaire, nous comptons revenir sur les principaux moments de l’écriture d’Armand Gatti. 

Gatti journaliste
Son écriture commence avec le journalisme en 1945. Il a déjà été immigré pièmontais, maquisard, prisonnier, évadé, parachutiste SAS. À la fin de la guerre, il quitte Monaco pour se rendre à Paris et se fait embaucher au Parisien libéré.

On le colle aux chroniques judiciaires. Il fera tous les procès de la collaboration, ceux des massacres commis par l’armée allemande à Oradour-sur-Glane ainsi qu’à Bordeaux. Celui de la Gestapo de la rue de la Pompe. Peu à peu avec son ami Pierre Joffroy, il va imaginer un journalisme d’enquête. Sur la détention des prisonniers, les plus pauvres, ceux qui n’arriveront jamais à échapper au cercle de la pauvreté. Enquête sur les conditions de vie des Algériens en France. Chaque enquête devient un appel au gouvernement. Puis ils feront des enquêtes qui dépassent le cadre de la France, qui parcourent les camps d’Europe où se trouvent des réfugiés coincés dans des camps, cherchant désespérément à ne pas réintégrer leur pays d’origine. Ils feront aussi des enquêtes sur leurs amis artistes qui viennent de l’étranger découvrir et peut-être travailler à Paris (À nous deux Paris).

 La dernière enquête menée par Gatti sur les dresseurs de fauves intitulée Envoyé spécial dans la cage aux fauves lui vaudra le prix Albert Londres et le titre de Grand reporter, c’est le début d’une nouvelle vie.

Gatti Grand Reporter
Aprés le tour de France, commence un premier tour du monde. Son journal l’envoie au Guatemala rendre compte d’un putsch organisé par les Américains. L’assassinat de son guide Felipe le convaincra qu’il n’a plus sa place dans ce métier.

De retour, il commence à écrire des pièces de théâtre. Le crapaud-buffle sur un dictateur d’un pays imaginaire. Mais il continue son travail de Grand reporter en Sibérie d’abord puis en Chine (avec Chris Marker) puis en Corée. C’est l’époque où les délégations du monde entier sont invitées à visiter et comprendre la transformation de ces sociétés communistes. Ils traverseront toute la Sibérie, la Chine et la Corée où Gatti clôture son voyage par l’écriture d’un scénario pour le film Morambong.

Gatti écrivain des institutions théâtrales
Il fait encore quelques piges pour les journaux mais un nouveau tour du monde commence avec l’écriture théâtrale. Grâce à la photographe, Agnès Varda, grande amie de Jean Vilar, elle donnera à ce dernier la pièce de Gatti, Le crapaud buffle qui sera monté en 1960 à la salle Récamier. C’est le début d’une traversée fulgurante des scènes françaises où les pièces d’Armand Gatti, sont montées à Lyon, Marseille, Toulouse, St Etienne, Paris mais aussi en Allemagne. Tour à tour, le sujet de ses pièces se déplacent de la Chine, au Vietnam, à l’émigration italienne aux camps allemands. Il recevra le prix Fénéon pour sa pièce Le Poisson noir sur la Chine de Tsin.
En Septembre 68 , coup de gong : le gouvernement De Gaulle interdit la pièce, de Gatti La passion du général Franco.

Gatti interdit
Le tour du monde par l’écriture continue mais avec de nouvelles modalités.
Depuis quelques années déjà les pièces de Gatti, sont traduites et jouées en allemand. Même La passion du général Franco d’ailleurs avec succès. Après l’interdiction en France, il s’installe à Berlin pour écrire le poème Les personnages de théâtre meurent dans la rue : là il découvre la radicalité allemande. Il écrit une pièce La moitié du ciel et nous en solidarité avec Ulrike Meinhof détenue. Cette pièce marque la fin de l’épisode allemand , il ne sera plus invité …

Gatti Avec et déterritorialisé
Le tour du monde se continue avec une écriture déterritorialisée.
Après toutes ces interdictions, l’écriture théâtrale de Gatti ne se pense plus à partir des institutions de la scène. Avec le texte Petit manuel de guérilla urbaine, son écriture ne se pense plus dans un théâtre mais dans un nouveau dispositif : une salle d’hôpital ou dans une salle de classe pendant les cours. A cette déterritorialisation s’ajoute le fait que le texte est joué par ceux qui ont été témoin de l’écriture du texte. Une écriture pensée, rédigée, avançant en dialogue permanent avec ceux qui participent au travail. Ce grand chantier commencera en Belgique avec deux grandes expériences, : la première dans une usine de Schaerbeek sur La colonne Durruti. Et l’autre dans la campagne du Brabant wallon avec toujours les étudiants de l’IAD.
Non seulement c’est un travail avec… Mais un travail également complètement déterritorialisé. Depuis 1975, jusqu’à la fin de sa vie, il arrivera à tenir son écriture dans l’avec et la déterritorialisation radicale (disciple d’une certaine façon de Guattari et Deleuze).

Le dernier épisode de ces écritures, tout en gardant le même cadre de l’écriture avec et de la déterritorialisation se fixera sur le projet de construire une cathédrale à la Résistance. La clé du dispositif, le mathématicien résistant Jean Cavaillès et le réseau Cohors. Les lectures de Cavaillès vont peu à peu faire découvrir à Gatti la physique quantique et une pensée qui met à mal le déterminisme. Enfin ! Avec Cavaillés et la physique quantique, Armand Gatti arpentera Strabourg, Sarcelles, Ville Evrard, le Cern, Genève etc.…Texte après texte, il arpente cette cathédrale, certains diront ce projet éléphantesque et ils ont raison parce que les cathédrales ont souvent la forme d’éléphants

Les noms de Jean Cavaillés, de Rosa Luxembourg, des fusillés de Tarnac, de Sacco et Vanzetti, du groupe Manouchian, de Roger Rouxel, de Camilo Torres, de Michèle Firk, d’Ulrike Meinhof rappelle que depuis son premier livre Bas relief pour un décapité jusqu’aux derniers épisodes de la Traversée des langages, durant toute sa vie Armand Gatti n’a finalement défendu qu’une seule idée : donner aux martyrs et aux combattants quelques instants de plus à vivre, les libérer de la fusillade, de la chaise électrique et de la décapitation pour retrouver la puissance de leur conviction. SG