Présentation de la soirée : Rachid Belkaïd.
Lecture de L’Archipel a touché terre d’Armand Gatti par Sylvia Bergé, sociétaire de la Comédie-Française.
Projection du film : Entretiens avec le Poème cinématographique et ses pronoms personnels menés par trois villes, Paris, Barcelone, Berlin, un village des collines du Pô, Piancerreto, un camp de concentration, Mauthausen, et un non-lieu, Monaco d’Armand Gatti.
19 h
Entrée payante sur réservation
Maison de la Poésie
Passage Molière
157, rue Saint-Martin – Paris-3e
Tél. : 01 44 54 53 00
Billetterie : accueil@maisondelapoesieparis.com
https://maisondelapoesieparis.com/
suppléments d’information
L’Archipel a touché terre est un poème d’Armand Gatti dédié à Mim.
Mim était la compagne d’Armand Gatti, Hélène Châtelain.
« J’ai vu
une parcelle de Mim devenir l’histoire des siècles
que l’histoire n’a pas vécus
Une parcelle de Mim reconstituer
ce qui nous manque des astres
avec des chiffres en gratte-ciel
et des marguerites pour les compter »
Aujourd’hui la mort les a de nouveau réunis.
J’ai été le témoin de leur rencontre et de cette incroyable histoire qu’ils ont vécue. Il faut comprendre ce poème à travers ce qu’a été leur rencontre et la violence de ce qui s’est passé à ce moment. C’était un poème nécessaire, on peut maintenant le dire : quand Armand Gatti rencontre Hélène Châtelain, elle a une liaison avec Chris Marker qui a réalisé le film très célèbre, la Jetée qui fera d’Hélène Châtelain l’icône silencieuse de la gauche c’est-à-dire une femme très belle qu’il photographie quand elle dort et ne parle jamais. Quand Hélène Châtelain a rallié Armand Gatti j’oserais dire, elle a rallié le monde de la parole. Elle était une femme de la parole, de la parole engagée. elle a dirigé la magnifique collection de littérature russe Slovo aux Editions Verdier où l’on trouve Chalamov, Harms, Dombrowski et Krzyzanowski et Éloge des voyages insensés de Vassili Golovanov pour lequel elle reçut le prix de la russophonie pour la traduction. Pour Armand Gatti et Hélène Chatelain ce fut très difficile au début . Tous les milieux de la gauche culturelle ne leur ont pas pardonné d’avoir rendu Chris Marker si triste.
Un jour Armand Gatti est allé voir son éditeur au Seuil Paul Flamand, qui lui a dit : – « Vous savez Armand Gatti vous commencez une carrière magnifique, un bel avenir s’annonce pour vous, mais vous ne devez pas vous embarrasser de valises trop lourdes qui empêcheront votre avancée. » Armand Gatti ne comprend rien et finalement Paul Flamand précise alors qu’il s’agit d’Hélène Châtelain.
Gatti se lève en disant : – « Je crois que vous vous trompez Hélène Châtelain n’est pas un téléphone que l’on déplace de gauche à droite comme ça. »
Il a claqué la porte. Ce poème de Gatti à Mim, c’est un poème de résistance à la pesanteur qui a entouré et duré toute leur vie .
– SG
Entretiens avec le poème cinématographique et ses pronoms personnels menés par trois villes, Paris, Berlin, Barcelone, un village des collines du Po, Piancerreto, un camp de concentration, Mauthausen, et un non-lieu, Monaco.
1985-1986./scenario à huit voix.
Sujet : L’internationale
« LES LIVRES FOUS. — Et si l’Internationale était atteinte de la maladie des mots, dans le désir fou d’être le Livre comme la Bible et le Coran ?
À la schizophrénie de la Bible et du Coran on n’a pas cessé d’offrir des sacrifices humains. Et l’Internationale ? Quel que soit le tournage, et le moment de ce tournage, sa bataille est présente – mais avec quels morts ? et quels vivants ? »
« …être soi, c’est se condamner à la mutilation »
« À l’origine du poème cinématographique, et ses pronoms personnels. Il y a la demande d’un film dans lequel Gatti est censé revenir en images sur sa vie et ses relations cinématographiques (sous forme d’entretien). Proposition, irrecevable pour Gatti : « être soi, c’est se condamner à la mutilation. A la demande de scénario autobiographique, il répondra par le poème. Ce Poème cinématographique. Impossible d’en faire un film. Gatti en tirera donc un texte en forme de scénario sobrement intitulé : Entretien avec le poème cinématographique, et ses pronoms personnels, menée par trois villes, Paris, Berlin Barcelone, un village des collines du Piémont, d’ un camp de concentration Mathausen et un nom lieu Monaco ». Michel Séonnet
Donc au début de l’écriture de ce poème, il y a une commande de ministère des affaires étrangères. Gatti se rendra dans sept lieux en Europe . Premier lieu choisi, Berlin. Armand Gatti, précise immédiatement à l’équipe: je ne ferai aucun entretien jusqu’à la fin du tournage.
J’écrirai un texte qui partira des images. Gatti refuse de se laisser enfermer dans sa propre oralité à une époque où il y est très souvent enfermé.
Le film/poème se présente le plus souvent comme un dialogue entre le réalisateur, l’auteur surnommé le plus souvent Je et les autres pronoms personnels tu, il ou elle, nous, vous, ils ou elles ?
Dans le film réalisé, Gatti lit le texte de Je et André Wilms représente toute l’équipe du film Au début de sa carrière, pendant huit ans, André Wilms a travaillé avec Armand Gatti puis il travaillera avec Klaus Michael Gruber, Heiner Gobbels, Jean Jourdheuil, Aki Kaurismäki : des metteurs en scène qui ont passé leur temps à déconstruire l’espace théâtrale, à le déterritorialiser, à le faire sortir de ses gonds. La présence d’André Wilms dans la lecture de ce film relie Gatti, à cette manière de faire.
– SG
Cent ans déjà que Armand Gatti est né. C’est passé vite. À l’occasion de cet anniversaire, nous comptons revenir sur les principaux moments de l’écriture d’Armand Gatti.
Gatti journaliste
Son écriture commence avec le journalisme en 1945. Il a déjà été immigré pièmontais, maquisard, prisonnier, évadé, parachutiste SAS. À la fin de la guerre, il quitte Monaco pour se rendre à Paris et se fait embaucher au Parisien libéré.
On le colle aux chroniques judiciaires. Il fera tous les procès de la collaboration, ceux des massacres commis par l’armée allemande à Oradour-sur-Glane ainsi qu’à Bordeaux. Celui de la Gestapo de la rue de la Pompe. Peu à peu avec son ami Pierre Joffroy, il va imaginer un journalisme d’enquête. Sur la détention des prisonniers, les plus pauvres, ceux qui n’arriveront jamais à échapper au cercle de la pauvreté. Enquête sur les conditions de vie des Algériens en France. Chaque enquête devient un appel au gouvernement. Puis ils feront des enquêtes qui dépassent le cadre de la France, qui parcourent les camps d’Europe où se trouvent des réfugiés coincés dans des camps, cherchant désespérément à ne pas réintégrer leur pays d’origine. Ils feront aussi des enquêtes sur leurs amis artistes qui viennent de l’étranger découvrir et peut-être travailler à Paris (À nous deux Paris).
La dernière enquête menée par Gatti sur les dresseurs de fauves intitulée Envoyé spécial dans la cage aux fauves lui vaudra le prix Albert Londres et le titre de Grand reporter, c’est le début d’une nouvelle vie.
Gatti Grand Reporter
Aprés le tour de France, commence un premier tour du monde. Son journal l’envoie au Guatemala rendre compte d’un putsch organisé par les Américains. L’assassinat de son guide Felipe le convaincra qu’il n’a plus sa place dans ce métier.
De retour, il commence à écrire des pièces de théâtre. Le crapaud-buffle sur un dictateur d’un pays imaginaire. Mais il continue son travail de Grand reporter en Sibérie d’abord puis en Chine (avec Chris Marker) puis en Corée. C’est l’époque où les délégations du monde entier sont invitées à visiter et comprendre la transformation de ces sociétés communistes. Ils traverseront toute la Sibérie, la Chine et la Corée où Gatti clôture son voyage par l’écriture d’un scénario pour le film Morambong.
Gatti écrivain des institutions théâtrales
Il fait encore quelques piges pour les journaux mais un nouveau tour du monde commence avec l’écriture théâtrale. Grâce à la photographe, Agnès Varda, grande amie de Jean Vilar, elle donnera à ce dernier la pièce de Gatti, Le crapaud buffle qui sera monté en 1960 à la salle Récamier. C’est le début d’une traversée fulgurante des scènes françaises où les pièces d’Armand Gatti, sont montées à Lyon, Marseille, Toulouse, St Etienne, Paris mais aussi en Allemagne. Tour à tour, le sujet de ses pièces se déplacent de la Chine, au Vietnam, à l’émigration italienne aux camps allemands. Il recevra le prix Fénéon pour sa pièce Le Poisson noir sur la Chine de Tsin.
En Septembre 68 , coup de gong : le gouvernement De Gaulle interdit la pièce, de Gatti La passion du général Franco.
Gatti interdit
Le tour du monde par l’écriture continue mais avec de nouvelles modalités.
Depuis quelques années déjà les pièces de Gatti, sont traduites et jouées en allemand. Même La passion du général Franco d’ailleurs avec succès. Après l’interdiction en France, il s’installe à Berlin pour écrire le poème Les personnages de théâtre meurent dans la rue : là il découvre la radicalité allemande. Il écrit une pièce La moitié du ciel et nous en solidarité avec Ulrike Meinhof détenue. Cette pièce marque la fin de l’épisode allemand , il ne sera plus invité …
Gatti Avec et déterritorialisé
Le tour du monde se continue avec une écriture déterritorialisée.
Après toutes ces interdictions, l’écriture théâtrale de Gatti ne se pense plus à partir des institutions de la scène. Avec le texte Petit manuel de guérilla urbaine, son écriture ne se pense plus dans un théâtre mais dans un nouveau dispositif : une salle d’hôpital ou dans une salle de classe pendant les cours. A cette déterritorialisation s’ajoute le fait que le texte est joué par ceux qui ont été témoin de l’écriture du texte. Une écriture pensée, rédigée, avançant en dialogue permanent avec ceux qui participent au travail. Ce grand chantier commencera en Belgique avec deux grandes expériences, : la première dans une usine de Schaerbeek sur La colonne Durruti. Et l’autre dans la campagne du Brabant wallon avec toujours les étudiants de l’IAD.
Non seulement c’est un travail avec… Mais un travail également complètement déterritorialisé. Depuis 1975, jusqu’à la fin de sa vie, il arrivera à tenir son écriture dans l’avec et la déterritorialisation radicale (disciple d’une certaine façon de Guattari et Deleuze).
Le dernier épisode de ces écritures, tout en gardant le même cadre de l’écriture avec et de la déterritorialisation se fixera sur le projet de construire une cathédrale à la Résistance. La clé du dispositif, le mathématicien résistant Jean Cavaillès et le réseau Cohors. Les lectures de Cavaillès vont peu à peu faire découvrir à Gatti la physique quantique et une pensée qui met à mal le déterminisme. Enfin ! Avec Cavaillés et la physique quantique, Armand Gatti arpentera Strabourg, Sarcelles, Ville Evrard, le Cern, Genève etc.…Texte après texte, il arpente cette cathédrale, certains diront ce projet éléphantesque et ils ont raison parce que les cathédrales ont souvent la forme d’éléphants
Les noms de Jean Cavaillés, de Rosa Luxembourg, des fusillés de Tarnac, de Sacco et Vanzetti, du groupe Manouchian, de Roger Rouxel, de Camilo Torres, de Michèle Firk, d’Ulrike Meinhof rappelle que depuis son premier livre Bas relief pour un décapité jusqu’aux derniers épisodes de la Traversée des langages, durant toute sa vie Armand Gatti n’a finalement défendu qu’une seule idée : donner aux martyrs et aux combattants quelques instants de plus à vivre, les libérer de la fusillade, de la chaise électrique et de la décapitation pour retrouver la puissance de leur conviction. SG